Coupe du monde 2006 : une hotline pour dénoncer les actes racistes
Le Camerounais Simplice Freeman est à l’origine de cette initiative en Allemagne - 01/06/2006
Source: http://www.afrik.com
Les étrangers de couleur ne sont pas en sécurité partout en Allemagne. Pour les protéger, l’activiste camerounais Simplice Freeman est l’instigateur d’un numéro d’urgence qui permettra aux victimes et aux témoins d’actes racistes dans les Lander de Berlin et du Brandebourg, jugés à haut risque, de les signaler et de se faire assister durant la Coupe du monde 2006.
« Il y a des petites et moyennes villes du Brandebourg et d’ailleurs où je ne conseillerais à personne de se rendre, s’il a une couleur de peau différente de la nôtre. Il se pourrait qu’il n’en revienne pas vivant. » En donnant ce conseil, à la veille de la Coupe du monde, qui débutera le 9 juin prochain en Allemagne, Uwe-Karsten Heye, l’ancien porte-parole du gouvernement allemand, a soulevé un tollé général au sein de la classe politique allemande. Et pour cause, l’ancien diplomate, aujourd’hui engagé dans la lutte contre le racisme dans son pays, reconnaissait ouvertement que le phénomène avait pris des proportions inquiétantes. Notamment dans l’Est de l’Allemagne unifiée. Ceci à la grande satisfaction d’activistes comme Simplice Freeman. Le Camerounais est à l’origine du projet Racism help line, un numéro d’urgence dont l’objectif est de porter assistance aux victimes éventuelles d’attaques racistes, pendant la Coupe du monde, dans les lander du Brandenbourg et de Berlin. Selon les statistiques officielles, les actes de violence commis par des groupes d’extrême droite dans la République fédérale ont augmenté de 23% entre 2004 et 2005.
Une ligne « chaude » pour une région qui l’est tout autant
« La situation est très critique en Allemagne pour un Noir en particulier et pour tout étranger en général. Le gouvernement allemand ne l’a officiellement reconnu, et ce pour la première fois, que le mois dernier. De même, la question du racisme contre les Noirs a été évoquée dans le plus important débat politique allemand diffusé sur la première chaîne publique nationale, ARD. C’est seulement maintenant que ’l’Allemand normal’ entend parler de racisme, nous c’est la millième fois. C’est notre quotidien, c’est pour eux que c’est nouveau », explique Simplice Freeman qui vit à Berlin depuis six ans. Cette prise de conscience, on la doit également à la façon dont l’agression, en avril dernier, d’un Allemand d’origine éthiopienne à Potsdam (la capitale du Land incriminée du Brandebourg qui entoure la ville-Etat de Berlin) a été relayée par la presse nationale. « Chaque année, ce sont trois ou quatre membres de la communauté noire en Allemagne qui disparaissent à cause d’actes racistes perpétrés par des bandes nazies. Mon devoir est de protéger ces étrangers contre ces barbares », poursuit le militant. D’autant plus, note-t-il, que les hooligans polonais, jugés très dangereux, et anglais, risquent de venir renforcer le rang des extrémistes.
Les appels pourront être émis en six langues. A savoir l’anglais, le français, l’espagnol, le portugais, le turc et l’allemand. Des langues susceptibles d’être utilisées, selon M. Freeman, par les potentielles victimes. Ce sont environ une soixantaine de personnes, soit une dizaine par langue, qui répondront aux appels de détresse. Ils peuvent aussi être utilisés pour dénoncer les brutalités policières. « En 2005, un ami a été brûlé vif dans un commissariat de police. Il avait été ficelé sur le matelas de sa cellule sous prétexte qu’il ne se tenait pas bien. Lorsque l’alarme s’est déclenchée, les policiers ont cru que c’était une fausse alerte, soit disant parce que la chose était courante. Il nous est toujours interdit de dire qu’un étranger a été tué par un policier parce que nous n’avons prétendument pas de preuves. »
L’Allemagne, la Fifa et Fare se mobilisent également
L’initiative privée de Simplice Freeman, soutenue par d’autres organisations de la société civile comme le Afrika-Rat Berlin-Brandenburg (conseil des Africains) de Moctar Kamara, n’est bien évidemment pas la seule pour préserver les nombreux supporters de « couleur » qui débarqueront en Allemagne. Le Afrika-Rat a d’ailleurs lui-même rendu public une liste des « No-go-Areas », un terme connu en Allemagne, mais qui désigne aujourd’hui les zones dans lesquelles ces personnes ne devraient pas s’aventurer. En outre, les autorités allemandes, en partenariat avec la Fédération internationale de football (Fifa), mèneront une campagne dénommée "Dites non au racisme". Avant le coup d’envoi des quarts de finale, les capitaines des équipes qualifiées feront une déclaration contre le racisme dans le rond central du stade.
De même, le réseau Fare (Football contre le racisme en Europe), dont l’ambition est de « débarrasser le ‘beautiful game’ du fléau du racisme », organisera dans dix des douze villes qui accueilleront les matchs de la Coupe du monde un « Streetkick tour », comme lors de l’Euro 2004. « Autour des rencontres, il y aura des matchs entre associations de supporters (principe du Streetkick,ndlr), des expositions sur la lutte contre le racisme et de multiples activités autour de cette thématique », explique Kurt Wachter, chargé de projet à Fare. Comme pour la Coupe d’Europe 2004 au Portugal, l’organisation mettra en place un accueil téléphonique, valable sur tout le territoire allemand, afin que le public ait la possibilité de signaler les actes racistes.
A quelques semaines de la grand-messe du football, le gouvernement allemand, par la voix de Wolfgang Schäuble, ministre chrétien-démocrate de l’Intérieur, se veut néanmoins rassurant sur son hospitalité. « Nous avons à cœur de montrer que notre pays sait accueillir les étrangers. L’Allemagne est un pays ouvert, pacifique et tolérant. C’est ce que nous allons montrer pendant la Coupe du monde », a-t-il affirmé ce mercredi, lors d’une conférence de presse. La République fédérale tient donc à montrer patte blanche. Histoire de ne pas faire mentir un slogan qui sonne aujourd’hui comme un véritable défi quant à cet évènement sportif qu’elle organise pour la deuxième fois (1974) de son histoire : « Die Welt zu Gast bei Freunden » - le monde pour hôte par amitié - ou plus prosaïquement « le rendez-vous de l’amitié ».