Tragédie de Hillsborough : six inculpations avec vingt-huit ans de retard - 28/06/2017Source: http://www.liberation.fr/
Le chef de la police en charge de la sécurité du match où un mouvement de foule avait tué 96 supporters de Liverpool a notamment été inculpé pour «homicide involontaire pour négligence grave».Il lève son poing serré, sans sourire, à la sortie du tribunal de Warrington, à une trentaine de kilomètres à l’est de Liverpool. Barry Devonshire a gagné, lui et des dizaines d’autres combattants de la vérité. Vingt-huit ans après les faits, la justice va être faite. Il sait que le bout de la route, la fin de la lutte est en vue. Le parquet britannique vient d’annoncer l’inculpation de six individus dans le drame de Hillsborough, dont celle de l’ancien commissaire David Duckenfield pour «homicide involontaire par grave négligence» dans le cas des 95 victimes de la tragédie. Il pourrait aussi être inculpé prochainement pour l’homicide de la dernière victime, décédée quatre ans plus tard.
Le 15 avril 1989, Christopher, 18 ans, le fils de Barry Devonshire, était arrivé au stade en fier et heureux supporter de son équipe fétiche de Liverpool, qui affrontait Nottingham Forest dans cette demi-finale de Coupe d’Angleterre. Mais en quelques minutes, la fête est devenue tragédie.
Sur les 54 000 billets vendus pour l’occasion, 10 100 étaient destinés aux terrasses, ces emplacements au pied des tribunes où les spectateurs se tiennent debout (interdites depuis), où l’on accédait par sept petits tourniquets. Dans les heures qui précèdent le match, le passage se fait au compte-gouttes. A 14 heures, à une heure du coup d’envoi, plus de 8 000 supporters attendent encore de passer. A 14 h 45, il en reste encore 4 000 dehors. La police décide de ne pas retarder le coup d’envoi, sifflé à 14 h 59. Mais le match est interrompu à 15 h 06. Sous la pression de la foule, qui continuait d’affluer, alors que les tribunes avaient atteint leur capacité maximale, les barrières qui séparent les terrasses sont tombées, écrasant des supporteurs, en projetant d’autres vers l’avant. La police tarde à déclarer un «incident majeur», retardant ainsi l’arrivée des secours. Quatre-vingt-seize personnes meurent (la dernière en 1993, après quatre ans de coma), la plupart étouffées. 766 sont blessées.
Quelques mois plus tard, un verdict de «mort accidentelle», invraisemblable pour les familles, est rendu. Pire, des témoignages falsifiés ou transformés par la police ou des avocats font passer les supporters de Liverpool pour des hordes d’hystériques, imbibés d’alcool et responsables du drame.
Pendant presque trente ans, les parents, frères, sœurs, cousins et enfants des victimes se sont battus pour faire entendre leur voix, pour rendre justice aux leurs. Il y a presque exactement un an, le 26 avril 2016, un rapport d’une enquête publique établissait très clairement les responsabilités et les négligences de la police et des services d’ambulances. Elle exonérait aussi totalement les supporters. Ce rapport était une première victoire, au bout de vingt-sept ans, mais n’inculpait personne nommément.
C’est désormais chose faite. La justice a pris le relais et, ce mercredi, a enfin désigné, par leurs noms, les responsables présumés de la tragédie. Outre le commissaire David Duckenfield, en charge de la police du match ce jour-là, l’ancien inspecteur Norman Bettison a été inculpé pour avoir menti sur la culpabilité des supporters, Graham Mackrell, ancien secrétaire du club de Sheffield Wednesday, où avait lieu le match, a été accusé de négligences concernant la législation sur la sécurité des stades. Peter Metcalff, avocat, a été inculpé pour avoir falsifié des déclarations de témoins, et deux autres anciens policiers, Donald Denton et Alan Foster, pour avoir entravé le travail de la justice.
A la sortie du tribunal de Warrington, tout un groupe, comme un seul homme, s’est avancé vers les micros. Chacun d’entre eux a perdu un proche il y a vingt-huit ans. «Six personnes vont être jugées et ne l’auraient peut-être pas été si nous n’avions pas été résilients et si nous n’étions pas restés tous unis pour ce long combat», a déclaré Trevor Hicks, dont les deux filles, Victoria, 15 ans et Sarah, 19 ans, sont mortes écrasées dans le stade. «Il n’y a pas de gagnants ici», a-t-il ajouté.
«C’est vraiment le début de la fin. Je pense que tout le monde en a besoin, je pense que nous avons tous besoin de paix après Hillsborough, mais nous n’aurions jamais pu trouver la paix si nous n’avions pas rétabli la vérité, la justice, les responsabilités», a continué Margaret Aspinall, présidente du Hillsborough Family Support Group. Elle parlait pour son fils défunt, James. Il avait 18 ans. Elle parlait pour les quatre-vingt-quinze autres victimes. La plus jeune avait dix ans, la plus âgée soixante-sept. «Je pense qu’il est temps que nous trouvions la paix».